July 7, 2023By Fouad Marhar

Simterview Avec le Professeur Jean Claude Granry, Pionnier Français de la Simulation en Santé

Aujourd’hui, HealthySimulation.com a le plaisir de s’intéresser au parcours et à la carrière remarquables du Pr Jean Claude Granry. Parmi les pionniers de la simulation en santé en France, il a grandement contribué à son développement et à son implémentation dans notre pays et au-delà. Alors, allons voir comment toutes ses réalisations ont été rendues possibles. Cette interview de simulation de soins de santé a été réalisée par Fouad Marhar, contributeur de HealthySimulation.com

HealthySimulation.com (Fouad Marhar): Pour ceux qui seraient nouveaux dans le monde de la simulation, pourriez-vous vous présenter succinctement ?

Pr JC Granry: Bien entendu. Eh bien, j’ai passé mon internat de médecine au CHU d’Angers en Anesthésie-Réanimation et en Pédiatrie (c’était possible de faire les 2 en même temps à cette époque). J’ai ensuite été chef de service, chef de pôle puis président de la Commission Médicale d’Etablissement (CME) du CHU d’Angers pendant 4 ans.


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À la fin de cette présidence, je me suis dit “Il faut que je voie autre chose dans la spécialité” et en 2001 au congrès de l’ASA (American Society of Anesthesia) j’ai vu des présentations et des démonstrations et j’ai compris que c’était cela qu’il fallait lancer fin des années 2000. Le centre de simulation d’Angers est né de cette nouvelle motivation. Ensuite, j’ai créél’AFSARMU (Association Francophone de Simulation en Anesthésie Réanimation et en Médecine d’Urgence) et nous avons rapidement vu l’intérêt d’ouvrir la discussion aux autres spécialités, et ce fut la naissance de la SoFraSimS (Société Francophone de Simulation en Santé ) en 2014. En réalité, j’aurais aimé aller encore plus loin dans cette ouverture dans le cadre du congrès : International Conference for Multi-Area Simulation (ICMASim) que nous avons organisé en 2019 à Angers et qui associait des acteurs de la simulation en dehors de la santé, nucléaire, aéronautique, armée etc… Je tiens à te signaler car tu me parlais de “pionniers” dans ton introduction qu’il faut rendre le crédit à d’autres qui ont vu dans la simulation une grande valeur dès le début. Tu connais probablement le Pr Philippe Scherpereel à Lille, qui avait été le premier, en 1994, à convaincre sa hiérarchie d’investir dans un HPS (Human Patient Simulator) de chez CAE.

Ensuite, avec Marie Christine Moll, nous avons eu la volonté de ne pas rester focalisés sur la région d’Angers, c’est la raison pour laquelle nous avons sollicité la HAS (Haute Autorité de Santé) directement. C’est comme cela que nous avons obtenu la lettre de mission en 2009 par le Pr Laurent Degos Président à l’époque de la HAS. Il avait compris les vertus de la simulation, au-delà de la méthode pédagogique, et nous a soutenus. Voilà en gros mes contributions…

Il existait une vraie influence américaine et notamment le lien avec David Gaba dans nos spécialités d’anesthésie et de soins critiques était souvent évident.

HealthySimulation.com : En quelques mots supplémentaires s’il vous plaît, parlez-nous de votre actualité dans le domaine de la simulation.


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Pr JC Granry: Officiellement, je suis retraité depuis 2 ans. J’ai été Professeur consultant pendant 3 ans pour continuer à m’occuper de la simulation à Angers et dans le Pays de la Loire. J’exerce toujours mes fonctions de Président d’honneur à la SoFraSims comme tu le sais, et j’interviens aussi dans le cadre de l’espace ressource Simulation en Santé qui dépend d’une structure régionale d’appui de l’ARS Pays de la Loire.

Par ailleurs, je suis bénévole à la ligue contre le Cancer ou j’essaie également de développer les formations par la simulation. Je fais également des formations en simulation pour les pharmaciens d’officine avec un organisme de formation d’Angers. Donc, tout est basé pratiquement sur la simulation pour ma retraite.

HealthySimulation.com: Ce qui est intéressant dans votre parcours c’est la façon dont vous avez su garder une pratique permanente de la simulation (notamment du débriefing) malgré vos différentes positions de leadership dans le domaine de la simulation. Comment cela s’est-il passé ?

Pr JC Granry: En réalité c’est très simple. Tu sais ce qui est génial avec la simulation et le fait d’être sur le terrain en permanence, c’est que cela me permet d’apprendre de manière constante. Cela me permet aussi de continuer à informer les différents publics sur l’outil simulation. C’est aussi notre rôle en tant qu’expert de faire connaître la simulation pour lui donner le maximum de chance de se développer dans les années qui viennent.

HealthySimulation.com: Quelle est votre première interaction avec le monde de la simulation?

Pr JC Granry: Il y en a plusieurs souvenirs qui émergent. Ma première inspiration fut celle racontée par David Gaba qui parlait de son idée de faire comme l’équipe de la navette spatiale d’Apollo 13 (1969-1970). Comme on le voit dans le film sorti en 1995, après la survenue des accidents graves survenus en vol, fuite d’oxygène en particulier, ceux-ci ont été reproduits (voire même devancés) au sol dans la capsule simulée afin d’établir et de transmettre une conduite à tenir pour l’équipage réel. David Gaba raconte que quand il a vu cela à la télévision comme plusieurs d’entre nous à l’époque, il s’est dit, “Il faut faire cela en santé !” pour se préparer aux catastrophes et s’entraîner avant que les problèmes n’arrivent et il a eu le succès qu’on lui a connu par la suite.

Ensuite, Laerdal avec les premiers mannequins (dans les années 2000) et leur tour de France pour faire connaître leurs mannequins. Il faut mettre à leur crédit ce travail important d’Information qui a participé au développement de la simulation même si l’intention était aussi commerciale bien entendu. Mais je me souviens vraiment que c’était fait dans une démarche d’information et de partage de leur expérience dans les autres pays.

Il y a eu aussi le congrès ASA (American Society Of Anesthesia) en 2001, la simulation faisait partie des discussions et c’est là où je me suis dit, il faut comprendre et s’informer pour la développer chez nous. Je me souviens à cette période avoir rencontré les responsables de Laerdal France mais j’étais trop occupé avec la présidence de la CME au CHU d’Angers. A la fin de cette période de présidence, je n’ai pas renouvelé mon mandat de CME pour essayer de développer la simulation. J’étais persuadé qu’il fallait un soutien politique pour cela et la HAS a eu un rôle crucial en favorisant le soutien et la participation du ministère de la santé de manière plus active. D’ailleurs je tiens à mentionner ici que c’est une chose que nous envient beaucoup de pays étrangers : la Belgique, la Suisse, le Canada qui sont admiratifs de voir des instances nationales soutenir la simulation.

Enfin et surtout, ma première véritable aventure personnelle en simulation fut la quête d’un budget pour l’achat d’un SimBaby. Je suis allé voir le président du conseil départemental de l’époque (Christophe Béchu, Ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires actuel), et il a vu l’intérêt tout de suite. Je suis ressorti de son bureau avec une promesse de financement~~.~~ J’en profite donc pour passer un grand message aux passionnés de simulation “Aller voir les responsables et leur expliquer que ce que l’on fait est essentiel…

HealthySimulation.com: Comment décririez-vous la situation de la simulation en France.

Je dirais que la France fait partie des bons élèves notammentgrâce au soutien des institutions.

Pr JC Granry: Les ECOS (Examen clinique objectifs et structurés) utilisés pour l’évaluation des étudiants en santé se développent et je pense qu’il s’agit d’un pas important pour les futurs professionnels de santé. Il y a aussi tout le travail qui a été fait initialement pour faire valider la simulation d’emblée dans les programmes DPC (Développement Professionnel Continu) qui porte ses fruits maintenant.

Je constate de plus en plus que les IFSI sont très dynamiques dans le cadre du développement des activités de simulation, surtout pour la simulation numérique. C’est très intéressant car cela permet de créer de nombreux programmes pluri-professionnels entre étudiants en médecine et étudiants paramédicaux.

Enfin, l’attribution des financements via les ARS (Agence Régionale de Santé) est aussi un plus pour nous car elle permet d’impliquer les institutions dans la gestion de ce genre de projet.

HealthySimulation.com: On me pose souvent la question du financement de la simulation en France, pouvez-vous svp éclaircir ce sujet pour les lecteurs ? Quelles sont les sources de financement possibles et comment y accéder ?

Pr JC Granry: Le meilleur financement, c’est celui que l’on va chercher…

Il existe cependant 2 grands types de financements: les financements institutionnels et ceux qui proviennent des formations.

  1. Les CHU et les universités financent en général les ressources humaines et les locaux, ce qui est énorme dans les budgets de fonctionnement. Les ARS aussi grâce au ministère. En 2014, une enveloppe de plusieurs millions (8 de mémoire) avait été attribuée à la simulation pour l’ensemble du territoire. Et, je me souviens que L’ARS Pays de Loire, avait été bien dotée et nous a bien soutenu.
  2. Les formations par la simulation. Que ce soit via les certificats universitaires, les Diplômes Universitaires ou Diplômes Inter-universitaires ou autres formations, c’est aussi un moyen de financer notre activité dans les centres de simulation.
  3. Mais il n’y a pas que les CHU et les Universités . De nombreuses structures de soins et écoles (IFSI) ont trouvé des financements (conseils départementaux, régionaux etc…) pour financer leur structure.

Et puis, il y a encore d’autres sources de financement : fondations, collectes en ligne….

Un des problèmes qu’on rencontre souvent cependant et qu’il faudra organiser à grande échelle est celui du matériel : mise en commun, réseaux d’utilisation. Dans les Pays de la Loire, nous avons été soutenus par les Hôpitaux Universitaires du Grand Ouest (HUGO) par exemple.

Le soutien des instances est utile et fait avancer les projets. C’est pour cela que j’accorde beaucoup d’importance à la collaboration avec la HAS.

HealthySimulation.com: Vous rencontrez un membre de la communauté de simulation novice ou déjà actif, et il vous demande un (seul) conseil pour optimiser sa pratique. Que lui répondez-vous?

Pr JC Granry: Il faut d’abord une formation officielle avec un diplôme reconnu. C’est la première des conditions. Ensuite, il faut pratiquer le plus possible, le plus souvent possible et avec le plus de personnes possible. Je fais encore des débriefings et j’apprends à chaque fois comme je le disais précédemment, j’en suis ravi et je le dis à chaque session. Et j’ajouterais comme point cardinal: l’évaluation. Il faut que les gens s’évaluent et évaluent leur programmes de simulation: c’est capital. Tout le monde devrait s’évaluer grâce à la simulation, sans exception.

HealthySimulation.com: Une question maintenant un peu particulière. Avez-vous un souvenir d’un élément du monde de la simulation qui a généré en vous un enthousiasme, une excitation particulière ?

Pr JC Granry: Il y en a eu plusieurs bien entendu comme tu t’en doutes. L’histoire du SimBaby évidemment qui a été un déclic pour moi et m’a beaucoup motivé pour la suite. J’ai aussi été bluffé par la découverte des simulations d’annonce avec les patients simulés. Nous avions d’ailleurs gagné le prix ANFH (Association Nationale pour la Formation permanente du personnel Hospitalier en 2012) grâce à ce projet : la simulation humaine a été une révolution pour moi. Et il y a quelques années, la table d’anatomie nous a ouvert les yeux sur la simulation numérique. L’utilisation de cette table a été le début de ma passion pour le numérique et c’est mon occupation du moment. C’est l’avenir à mon sens pour la nouvelle génération et il faut s’y mettre. C’est demain et ça rejoint tout le reste du numérique autour de nous.

HealthySimulation.com: Une question qui me tient particulièrement à cœur comme vous le savez puisque nous animons ensemble avec Rémy Collomp le Groupe de Travail “Synergie avec l’industrie” de la SoFraSimS(Société Francophone de Simulation en Santé), quelle est selon vous la place de l’industrie dans ce milieu d’expert en pédagogie par la simulation ?

Pr JC Granry: Il y a deux mots qui caractérisent ce “partenariat” c’est COOPÉRATION sans COMPROMISSION. Les industriels sont des partenaires indispensables. Il faut trouver le bon moyen de coopérer avec eux en toute transparence sans intérêt caché et c’est pour cela que la session que nous animerons ensemble lors du congrès de la SoFraSimS à Nice me paraît capitale pour montrer ce qu’on peut faire dans ce cadre collaboratif. Et je pense notamment que c’est la simulation numérique qui va le plus en bénéficier car nous ne sommes pas des experts de tout ça. Il sera nécessaire à terme pour les formateurs d’avoir la double compétence, médicale ou paramédicale et « informatique ». Le groupe de travail de la SoFraSimS que tu pilotes doit être un outil qui va permettre d’aller de l’avant et prendre de plus en plus d’espace.

HealthySimulation.com: Quelles directions la simulation va-t-elle prendre dans les 10 années à venir en France selon vous ?

Pr JC Granry: Je pense que le numérique aura un rôle capital notamment en chirurgie parce que la pratique des internes a diminué notamment pendant le COVID et on sait que le training est capital. Pour le reste du numérique, il y a plein de discussions en cours.

Tu sais que nous sommes en pleine actualisation du guide de bonnes pratiques en simulation et je suis responsable de la partie “simulation numérique” et on voit bien qu’il y a des freins. On va devoir former les formateurs à la simulation numérique parce que le briefing, le débriefing, les scénarios ne peuvent être développés qu’avec des spécialistes en numérique. Je fais là encore le lien avec les ingénieurs du monde de l’industrie. Je retrouve ce que j’ai connu au tout début de la simulation. Les freins sont les mêmes: “ça ne marchera pas”, “Il faut le contact humain” etc…



Et on se rend compte maintenant que parfois la machine fait mieux que l’homme. Par exemple, il existe un avatar développé par une équipe américaine qui obtient des niveaux de performance incroyables. D’autant plus que si tu regardes la roue des facteurs humains, tu t’aperçois que les évènements indésirables arrivent à cause de déficience humaine et certains modèles simulés arrivent à compenser cela largement. L’intelligence artificielle arrive aussi et quand on va la mêler à la simulation ça va encore évoluer même si il faudra garder le contact avec la simulation classique évidemment. Pour moi, les nouvelles générations peuvent apprendre grâce à la simulation numérique et ça va au-delà de l’apprentissage car, à mon avis les modèles d’évaluation numérique seront bien plus performants.

N’oublions pas cependant l’application de techniques de simulation dans la vie de tous les jours dans la clinique avec le développement du débriefing clinique: c’est pour cela que je dis que la simulation est bien plus qu’une méthode pédagogique.

HealthySimulation.com: Merci beaucoup Mr Granry pour votre partage d’expérience. A bientôt pour de nouvelles discussions simulation.

Pr JC Granry: Tout le plaisir a été pour moi. On se revoit donc à Nice au congrès de la SoFraSimS.

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